écrit par Steffen Hirth
Introduction
Dans l’introduction de son nouvel ouvrage « Prisonniers volontaires du rêve américain » S. Degoutin constate qu’aux Etats-Unis, « c’est dans la Sunbelt (les états du Sud, de la Californie à la Floride) que les gated communities prolifèrent le plus vite. »[1] Avec la formule « Prisonniers volontaires » Degoutin désigne, en observant le cas de Los Angeles, un processus de fragmentation socio-spatiale – l’autoenfermement résidentiel, notamment « gated communities ».
En France c’est également le Sud où les communautés fermées s’épanouissent le plus fortement, si on considère la proportion des programmes fermés par rapport au nombre total de programmes résidentiels. L’autoenfermement résidentiel serait-il un phénomène concernant en général surtout les régions du Sud ? Est-il même une question de climat ou que sont les conditions qui privilégient la dynamique d’extension du phénomène dans la France méditerranéenne ? Pour comprendre le phénomène il faut illuminer l’autoenfermement résidentiel en soi (chapitre 1) et celui du cas français (chapitre 2). La résidence « Les Charmilles » à Montpellier sera un exemple pour les programmes fermés comme ils se retrouvent dans toutes les aires urbaines du Sud de la France (chapitre 3).
1 L’autoenfermement résidentiel
Les termes français utilisés pour ce phénomène sont divers : « Communautés fermées », « enclaves résidentielles fermées » et « ensembles résidentiels clos » sont seulement quelques-uns d’entre eux.
Même si on parle d’un nouveau phénomène qui s’est épanouit dans les années 1990, la surveillance des espaces urbains n’est pas nouvelle. Billard, Chevalier et Madoré décrivent un ancien système de surveillance reposant sur deux piliers traditionnels, l’État et la solidarité de voisinage. Or, la dimension nouvelle qui permet l’essor des communautés fermées depuis la fin du 20e siècle, provient des nouvelles technologies de l’information et de la communication.[2] Ainsi le monopole de surveillance des espaces urbains aboutit à une échelle privée incombant de plus en plus aux promoteurs et concepteurs des résidences fermées.
Par définition l’autoenfermement résidentiel implique la fermeture totale du complexe, soit par mur ou clôture, un contrôle des accès, soit par un gardien, soit automatiquement, et en fin de compte un principe d’auto-administration (copropriété, association syndicale de propriétaires).[3] Bien que présentant des différences géographiques, les complexes résidentiels fermés sont un phénomène global avec une image de « ghetto doré » dont il faut s’éloigner, étant donné qu’il a atteint également les classes moyennes.[4] Cependant les classes plus ou moins aisées s’encloitrent, surtout en raison d’un sentiment d’insécurité, ce qui explique le terme « prisonniers volontaires ».
2 Les programmes fermés en France
En France le phénomène des complexes résidentiels fermés a été découvert, contrairement aux Etats-Unis, très récemment. Les premiers qui ont commencé à s’en intéresser étaient des journalistes, notamment Besset et Krémer du Monde en 1999.[5] Un autre article par H. Belmessous publié en 2002 dans Le Monde diplomatique prend l’exemple du promoteur Monné-Decroix qui s’est spécialisé sur la région urbaine de Toulouse.
La focalisation de la presse sur le sujet a donné l’impression, d’après Billard et al. , « que la diffusion géographique de la fermeture résidentielle en France ne serait limitée, pour l’essentiel, qu’aux seules grandes villes de la moitié méridionale de l’hexagone, et plus particulièrement à Toulouse.[6] Les recherches de Billard et al en 2002, par contre, ont indiqué que la diffusion spatiale en France est à la fois ubiquiste et discriminée.
D’un côté il existe des programmes résidentiels clôturés dans quasiment toutes les aires ou unités urbaines de France. Avec un chiffre atteignant de 41, Paris est la ville avec le plus haut nombre des programmes fermés. Mais, par rapport au nombre total de programmes (585) il répresente seulement 7%. De l’autre côté les programmes fermés se concentrent évidemment sur le Sud, si on considère la proportion : A Toulouse les programmes fermés constituent 46% du nombre total de programmes, à Montpellier 23%, à Bordeaux et à l’aire urbaine de Marseille/Aix-en-Provence chacun 19%. Au Nord, Dijon est l’exemple unique dont la proportion des programmes est, avec 36%,très haute.[7]
3 La résidence « Les Charmilles »
Située dans le sous-quartier Pas du Loup (quartier Croix-d’Argent) au Sud-ouest de Montpellier la résidence « Les Charmilles » est constitué d’un ensemble de quatre bâtiments résidentiels contenant 99 logements (fig. 1).[8]
La localisation de la résidence en périphérie de Montpellier correspond à la stratégie préférentielle des concepteurs mis en évidence par plusieurs auteurs. Nombreuses analyses montrent que les concepteurs des complexes résidentiels fermés préfèrent « à la fois des qualités naturelles et une rente de situation ». Les premières impliquent souvent une vue agréable, la présence de l’eau, d’une forêt ou d’un parc.[9] En effet la résidence « Les Charmilles » est proche des espaces verts comme le Parc de Bagatelle ou le Château Bon, ainsi que des champs vers Saint-Jean-de-Védas qui sont facilement accessibles. La « rente de situation », par contre, renvoie à une accessibilité rapide au centre ville et aux voies de communication et de transport, offert, dans ce cas-là, par la proximité de l’autoroute A9 et la présence des lignes de bus 6, 7, 11 (centre ville) et « La Ronde » (tout autour de la ville) et enfin la ligne 2 de tram.
Fig. 1: Vue aérienne de la résidence « Les Charmilles » à Montpellier (Source : Google earth).
Encore plus dénominatif pour la stratégie décrit ci-dessus est le résumé du promoteur Monné-Decroix (fig. 2) :
« Gorgée de soleil, la résidence Les Charmilles, conçue dans le quartier en pleine expansion du Pas-du-Loup, à quelques minutes de la Place de la Comédie, profite des charmes inépuisables du Sud. Aménagée autour de vastes espaces paysagers et d'une piscine, la résidence est un havre de détente. »[10]
Pour devenir un « havre de détente » il faut sans doute des nombreuses prestations sécuritaires. La résidence est entièrement clôturée et comporte un portail d’entrée dont l’ouverture fonctionne par télécommande. Il y en a de la vidéosurveillance à l'entrée du portail et de chaque hall (fig. 3). En plus, la présence d’un régisseur est mentionnée sur la site-web du promoteur.[11] Un gardien, par contre, n’est pas existant. D’après Billard et al, « ce coût ne devient acceptable que lorsque la taille de l’opération atteint 80 à 100 logements. » Les Charmilles, avec 99 logements, est donc juste à la limite de cette taille, mais la présence d’un gardien n’est probablement pas économique pour Monné-Decroix parce que le quartier est de toute façon « calme » et un régisseur est déjà disponible.
Même s’il y en a des nombreuses prestations sécuritaires la résidence ne clore pas nécessairement des grandes richesses. L’apparence de l’architecture donne plutôt une impression d’un juste milieu. En effet la résidence est conçue pour la classe moyenne ce qu’on peut percevoir par les coûts moyens des logements : Pour un T1 il faut payer 294€ par mois plus 34€ de charges. On a l’option entre toute taille jusqu’à un T4 qui coute 814€ plus 109€ de charges.[12]
Conclusion
Le monopole de surveillance des espaces urbains aboutit de plus en plus à une échelle privée. On peut même dire que, désormais, la sécurité elle-même devient une affaire privée. Mais si le but des habitants de la résidence « Les Charmilles » et plusieurs autres n’est pas de clore des richesses extraordinaires (parce qu’il n’y en a pas nécessairement), quelles sont-ils les raisons pour s’emmurer?
L’exemple de la résidence fermée à Montpellier a montré que l’autoenfermement est autant un phénomène des classes moyennes, ce que souligne la grande demande de la population en sécurité allant, quand même, souvent de pair avec de la qualité de vivre. L’essor des complexes résidentiels fermés en Europe et en France est un processus récent et pourtant « inévitable », puisque les promoteurs ne font que suivre une grande demande.[13]
En somme, il faut supposer un sentiment général d’insécurité qui fait s’emmurer les gens. Même si ce n’était pas forcément un sentiment d’insécurité, les gens éprouvent le besoin de se borner ou, autrement dit, d’être entre soi. Il faut donc considérer le phénomène de l’autoenfermement résidentiel dans le cadre d’un processus de fragmentation socio-spatiale. Les communautés privés – même s’ils ne sont pas nécessairement des « villes fortifiées », mais plutôt dans l’apparition d’une construction moyenne – contribuent et renforcent le tri social.
Il reste la question de pourquoi l’essor des complexes résidentiels fermés est-il si fort dans le Sud de la France et dans la Sunbelt aux Etats-Unis. Si la demande est détente, il faut nécessairement une tension. Sans doute la tension aux Etats-Unis, menant à une fragmentation sociale, est constituée d’un conflit ethnique entre whites, hispanics et blacks. La Sunbelt, près de la frontière mexicaine, constitue donc le croisement entre les ethnies. Ceux qui sont capables s’encloitrent – dans les ghettos, ils restent les pauvres, les accros et les sans-abris.[14]
Même si l’ampleur de fragmentation en France n’est même pas approximativement pareille, la demande en sécurité témoigne d’un développement similaire. Voici, la Méditerranée peut être considérée comme « interface », pour utiliser le terme de R. Brunet, entre le Nord riche qui absorbe les masses d’immigrants du Sud pauvre.[15] Ce sont les jeunes, plutôt les enfants des immigrants, nés en France, périphérisés et désillusionnés, qui font peur aujourd’hui. Mais ceux constituent seulement l’une côte de l’interface ou de la fragmentation – les « prisonniers volontaires » l’autre.
[1] Degoutin S. (2006), Prisonniers volontaires du rêve américain, Éditions de la Villette, Paris, p. 26.
[2] Billard G., Chevalier J. & F. Madoré (2005), Ville fermée, ville surveillée – La sécurisation des espaces résidentiels en France et en Amérique du Nord, Presses Universitaires de Rennes, p. 9.
[5] Besset J.-P. & P. Krémer (1999), Le nouvel attrait pour les résidences sécurisées, Le Monde, 15 mai.
[8] Internet : http://louez.monne-decroix.fr/Louer-Immobilier-Nos-Adresses/S4-Sud-Est/Ville-de-Montpellier/R71-Residence.html
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